"Il faut taxer les beaux-gosses", par Neïké

L'autre jour, j'ai été interpellé par cet article:

http://www.courrierinternational.com/article/2012/04/26/il-faut-taxer-les-beaux-gosses

Au premier abord, j'ai commencé à le lire de manière un peu distraite, le titre laissant supposer un article léger et divertissant. Néanmoins, il m'a questionné et, j'espère, vous aussi. Je partage donc ici avec vous le fruit de mes réflexions:



« […] classer les hommes célibataires »

Pourquoi seulement les hommes ? Morinaga serait-il jaloux des beaux gosses ? Quid des femmes ? Pourquoi ne devrions-nous pas également leur appliquer cette mesure ?

« […] majorer de 100 % le taux d’imposition applicable aux beaux […] Les moyennement laids, en revanche, bénéficieraient d’une réduction de 10 % et les laids de 20 % »

Pourquoi une telle disproportion ? Soit on majore de 100% pour les uns et on diminue d’autant pour les autres, soit on ne fait rien. Il ne faudrait pas que cette mesure, qui se veut égalitariste, soit justement…inégale ! S’agit-il de niveler par le bas (on enlève à ceux qui ont quelque chose de plus, de mieux) ou par le haut (on donne à ceux qui ont moins de sorte à ce qu’ils aient peu ou prou la même chose que les actuels privilégiés)?

« […] un jeune homme beau et riche de surcroît laisserait 90 % de ses revenus au fisc »

Quel intérêt pour lui de rester au Japon ? Si j’étais à leur place, je quitterais le pays. Et si tous les beaux gosses s’expatriaient, les japonaises seraient-elles heureuses de devoir se « contenter » du menu fretin restant ? Ne risquerait-on pas de voir alors des femmes préférer le célibat aux laids, suivant le fameux adage qui dit que l’on est mieux seul que mal accompagné ? Dans ce cas, la mesure serait alors contre-productive.

«[…] près de 50 % des hommes japonais âgés de 30 à 35 ans étaient toujours célibataires. Comment expliquer ce phénomène ? »

Peut-être par le fait que ces hommes ne savent pas comment séduire une femme ? On pourrait alors le leur enseigner, miser sur l’éducation et donc réaliser un vrai progrès pour tous (nivellement par le haut). Il est toutefois important de rappeler qu’en général, le physique seul ne compte pas pour les femmes, le statut social constituant un critère de sélection beaucoup plus pertinent et puissant.

« C’étaient ces “enquiquineuses” qui distribuaient les occasions de rencontres en organisant des sorties entre jeunes gens. »

C’est justement un problème. Si une société s’est construite sur le simple fait que les rencontres et/ou les mariages sont arrangés, c’est la porte ouverte aux frustrations. A mon sens, il est beaucoup plus intéressant, pertinent, « rentable » et couillu de choisir son partenaire que d’être choisi. Comme on dit souvent : « arrange-toi pour avoir des rendez-vous mais n’accepte pas de rendez-vous arrangé ».

« Les femmes ne pouvant plus juger les hommes dans une perspective à long terme, elles se concentrent sur ceux qui leur plaisent au premier coup d’œil. »

Cette affirmation me parait choquante à plus d’un titre. Tout d’abord, elle suppose que les femmes n’ont pas le discernement et la maturité suffisants pour pouvoir faire la part des choses et se rendre compte que le monde actuel est en mutation rapide et permanente et que, comme le dit la pensée taôiste, la seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout change. Ensuite, cela reviendrait à dire que les femmes sont tellement « peureuses » et conservatrices dans leurs choix de partenaires qu’elles n’osent plus s’engager avec aucun homme s’il ne répond pas à tous les critères économiques et sociaux d’une liste longue comme le bras et objectivement inapplicable pour 95% des hommes.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la place des hommes dans tout cela. Quel statut ont-ils? Sont-ils de simples pourvoyeurs de sécurité financière, matérielle et (éventuellement) affective ? Et les femmes ? Sont-elles des princesses, un trophée, un objet de convoitise si rare, si précieux, si difficilement accessible qu’il faudrait être parfait (voire un peu plus) pour les séduire ?

« […] le 1 % de gagnants et les 99 % de perdants »

Qu’est-ce qu’un « gagnant » ? Qu’est-ce qu’un « perdant » ? Ces notions me paraissent assez vagues et floues. D’ailleurs, s’il y a des « gagnants » et des « perdants », quel est l’enjeu ? Quel est le prix à gagner ? Et quelle est la norme ? Et qui la fixe ? Selon quels critères ? Et au nom de quoi ?

« […] mais il y a une disparité bien plus importante entre les hommes, fondée sur leur capacité à séduire les femmes. »

Nous y voilà ! C’est, à mon humble avis, le cœur du problème. Un homme ne sachant pas séduire (ou tout au moins n’ayant pas une vie un tant soit peu séduisante) risque fort de devoir s’en remettre au hasard des rencontres et au bon vouloir de la gente féminine. Une position attentiste qui, avouons-le, n’a rien de séduisant ni de très excitant.

« […] seul l’argent permet de réduire cet écart » [… ] « Le seul moyen pour les laids de rivaliser avec les beaux, c’est l’équilibrage des revenus. »

Faux, même si c’est un critère indéniable. Certains hommes, y compris célèbres (je pense notamment à Casanova), n’étaient pas spécialement beaux mais dégageaient un charisme qui les rendaient séduisants. Ils pouvaient donc tout à fait, de part leur mode de vie (qui n’est pas nécessairement fastueux), trouver une ou plusieurs partenaires sans grande difficulté.
Néanmoins, force est de constater que si l’argent ne fait pas le bonheur (et ne permet pas toujours d’avoir toutes les femmes que l’on veut), il y contribue fortement.

« La méthode la plus simple est de taxer les beaux mecs qui ont le monopole de la séduction. »

Pourquoi ? On pourrait aussi augmenter les revenus des moches, non ? De plus, taxer un beau gosse ne le rendra pas plus lais. Et puis il y a fort à parier que les japonaises ne seront pas dupes et que, sachant qu’un beau gosse gagne objectivement bien sa vie mais que seul l’Etat lui enlève ses biens, elle ne le trouvera pas nécessairement moins charmant. D’autant plus qu’un beau gosse riche (avant imposition) est généralement un homme qui, évoluant dans un certains milieu, a reçu une éducation et a un mode de vie qui feront de lui une personne plus séduisante, de part ses manières, sa façon de parler, son bagage culturel…

« Les laids seront plus confiants du fait de l’augmentation de leurs revenus due à la réduction d’impôt. »

Ah bon ? Donc quand on a de l’argent on est confiant ? Si tel était le cas, cela se saurait depuis belle lurette. Les psy reçoivent tous les jours en consultation des personnes aisées qui trainent des casseroles affectives, sentimentales et métaphysiques qui n’ont rien à envier à celles des « pauvres ». De plus, en supposant que l’argent donne confiance en soit, il faudrait, pour observer un effet significatif, que l’augmentation du pouvoir d’achat des laids soit très important. Or, bien qu’ignorant tout du système d’imposition japonais, je doute fort qu’une réduction de 10% ou 20% permette d’atteindre cet objectif.

« Si les revenus des beaux sont plus faibles que ceux des laids, les femmes en viendront à réviser leurs critères de choix. »

Peut-être, mais quel est alors l’intérêt d’inverser la tendance ? Où serait alors le progrès ? Encore une fois, l’idée n’est pas tant d’inverser les rôles, mais plutôt de tenter d’équilibrer les choses en nivelant vers le haut.

« […] le taux de natalité cessera de chuter »

Il peut être encouragé plus efficacement, notamment par le versement d’allocations familiales ou par des allègements fiscaux en fonction du nombre d’enfants. Ces mesures me paraissent plus incitatives et surtout elles ne pénalisent personne. De plus, en supposant que cette mesure ait un impact positif sur la natalité, quid des enfants ? Seront-ils plus heureux avec des parents qui se sont unis dans ces conditions ? Et la mère, ayant épousé un laideron, sera-t-elle satisfaite de sa vie de couple ? Et quid de l’adultère, qui pourrait augmenter ? Et donc quid des divorces ?

« De plus, la baisse de recettes fiscales provenant des contribuables laids sera largement compensée par ce qu’auront à verser les beaux. »

Pas si sûr, à calculer. En effet, les beaux gosses riches sont très minoritaires dans la population générale. De plus, si une telle mesure venait à être mise en place, il y a fort à parier que l’évasion fiscale augmenterait.

«[…] l’avenir du Japon sera plus radieux »

Ah bon ?

« Je sais que certains contestent ce système, arguant que la disparité des goûts risque de rendre le verdict difficile, mais je ne pense pas qu’il y ait de tels écarts. Si les femmes avaient vraiment des goûts très différents les unes des autres, alors on ne serait pas dans la situation actuelle, où une poignée de beaux gosses seulement monopolisent le succès. »

S’il est vrai que les critères de canons de beauté varient au cours du temps, en fonction des cultures et également des personnes, il n’en reste pas moins que certaines « typologies » sont quasi universellement reconnues comme étant belles. Etonnamment, Morinaga semble ici se contredire, puisque si l’argent (et donc le statut social) attire les femmes, il n’y a pas de raison pour qu’un « laid » ne puisse pas avoir accès aux femmes. De ce fait, la situation décrite comme étant un monopole des femmes par les beaux gosses est fausse.

« J’étudie depuis longtemps les femmes fatales. Et les femmes qui séduisent les hommes et les mènent par le bout du nez ne sont pas forcément des beautés. Pour plaire aux hommes et profiter de leurs largesses, c’est la manière – les gestes, les manœuvres – qui compte, plus que l’apparence. Certaines femmes ont l’art de se faire entretenir, indépendamment de leur physique. Pour celles-là, il faudrait que leur revenu imposable soit calculé en fonction des avantages en nature qu’elles reçoivent des hommes. »

Réaliser un tel calcul semble peu réaliste. En revanche, ne vaudrait-il pas mieux éduquer ces femmes au travail, leur montrer le côté épanouissant, gratifiant, enrichissant et utile de participer à l’effort national ? En somme, remettre au goût du jour cette valeur ?

Et vous, qu'en pensez-vous? Cet article vous a-t-il ennuyé? Amusé? Fait réfléchir?

3 commentaires:

  1. Bravo Neïké pour la qualité de ta réflexion, tu nous livres une analyse pertinente et structurée de cet article que j'ai lu avec curiosité et un certain amusement! Cependant, le fait de déterminer les impôts de chacun en fonction de la beauté physique a tendance à me choquer. Il s'agirait d'une discrimination institutionnalisée, fondée sur la beauté physique, qui ne respecterait pas l'égalité des droits des citoyens devant la loi. Certes, la naissance d'une relation entre deux êtres, puis la formation d'un couple stable, repose beaucoup sur l'attrait physique des partenaires, mais ceci se fait de façon naturelle et je ne vois pas au nom de quoi on devrait légiférer pour agir sur ce processus universel, qui est aussi à la base de la reproduction animale.
    Mais cet article a le mérite de mettre en lumière certaines évolutions de nos sociétés, comme la baisse des couples stables, les difficultés à faire des rencontres durables, la multiplicité des partenaires sexuels... Ces phénomènes semblent s'inscrire dans une recherche accrue d'un plaisir rapidement obtenu et vite consommé, dans une quête effrenée de bonheur instantané. Selon ce nouveau modèle, le partenaire devient vite obsolète et le couple s'inscrit lui aussi dans le processus plus global de la "désuétude planifiée" ou "obsolescence programmée".

    RépondreSupprimer
  2. Passé l'aspect effectivement "comique" que pourrait représenté l'article, il y a effectivement des choses à relevé dès l'instant où l'on comprend que l'auteur est très sérieux.

    L'idée est représentative de cette passion égalitariste qui s'est emparée de l'homme civilisé. Elle repose sur sa volonté de maitriser le monde, de le dominer. Et comme le décrit merveilleusement bien Nietzsche dans sa "généalogie de la morale", ce sont bien souvent les plus "faibles" (ici les plus moches ...) qui portent cette idée de nivellement de l'humanité (quasiment toujours par le bas), et qui ont réussi à l'imposer comme norme morale.

    Comprendre la souffrance de ceux qui ne parviennent pas à atteindre leur épanouissement, et tenter d'en formuler des solutions, est tout à fait louable. Mais la société est-elle là pour empêcher les diversités qu'elle crée en nous mettant les uns à côté des autres? Doit-on se donner cette mission de disparitions des inégalités (et peut-être des différences?) intimement liées à celles que la nature crée?

    Je conçois pour ma part l'égalité sociale en termes de dynamique, de devenir, et non pas en termes de position ou de niveau. Ce qui est à corriger selon moi, ce sont les inégalités que la société elle-même construit (femmes soumises au hommes, pauvres n'ayant pas les mêmes droits que les plus riches, ...). Ici, comme tu le dis Neïké, l'enjeu central n'est sans doute pas dans la beauté innée et figée que la nature nous a confiée, ou dans son absence, qui n'est sans doute pas le premier élément d'attirance. Mais plutôt dans ce que chacun sait ou non en faire, dans notre façon (culturelle) de bouger notre corps, d'arranger notre apparence, de nous exprimer, etc ... Et il y a sans aucun doute ici "un savoir-faire" accaparé par ceux qui maitrisent les mieux les codes de notre société.

    Ton idée d'éducation à la séduction ne me semble pas être une mauvaise idée, même si elle peut surprendre à première vue. Je crois en tout cas que l'on peut véritablement agir sur l'apprentissage de cette "façon d'être séduisant", et finalement sur l'apprentissage d'être soi-même, original, d'avoir assez confiance en ce qui nous a été mis à disposition dès le départ pour le mettre en avant. C'est là que l'inégalité d'accès aux clés de la séduction se joue et non sur ce que la nature nous a donné de façon irrémédiable et définitive. Imposer les beaux/riches ne leur ferait pas perdre leur capacité à séduire, et ne la redistribuerait pas aux moches/pauvres.

    RépondreSupprimer
  3. Je trouve en effet cet article amusant pour ma part.
    Les 2 remarques que j'ai noté au fil de ma lecture sont les suivantes :
    Que faire dans le cas ou la majorité des riches sont dit moches et la majorité des pauvres sont dit beaux ?
    Si beau riche célibataire entraîne un taux d'imposition qui peut atteindre 90% alors une femme de bon sens qui ne serait attirée que par l'argent comme l'auteur semble le croire se marierait immédiatement avec lui et inversement lui avec elle afin de ne plus entrer dans ces critères d'imposition puisqu'il ne serait plus célibataire.
    Enfin tout ça pour dire que cet article de première vu m'a semblé uniquement amusant. Puis en lisant vos diverses remarques a ce sujet il m'a egalement interrogé sur ces questions d'inégalité, de phénomène de divorce...que nous pouvons rencontrer autour de nous et qui peuvent poser problemes. En tout cas des questions plus sérieuses et qui sont intéressantes a partager...

    RépondreSupprimer

Merci d'indiquer un nom qui nous permettrait de savoir qui vous êtes en sélectionnant l'onglet "nom/URL"