Réflexions en temps d'élection, proposé par Damien

En période électorale, bombardés que nous sommes d'une multitude d'idées auxquelles on souhaiterait nous faire adhérer, il est important de prendre du recul, et de comprendre ce qui se joue de manière plus large. Ces trois textes, selon moi, peuvent nous y aider.





  • Deux premiers textes qui évoquent l'importance de la mobilisation citoyenne dans la politique et l'impérativité de l'y lui faire une place


Le vote de la France qui souffre : telle a été l'une des premières explications avancées au score élevé de Marine Le Pen, dimanche soir. Pourtant, aucun parti n'a le monopole des « électeurs souffrants » : la crise ne fait pas de différence entre les opinions politiques. Sans vouloir nier les difficultés réelles de ceux qui connaissent le chômage, des difficultés pour se loger, la dégradation des quartiers où ils vivent, etc., il n'en reste pas moins que la France n'est pas aujourd'hui dans la situation de ses voisins espagnols, encore moins dans celle de la Grèce. Le niveau de la consommation, qui ne s'est pas effondrée, en témoigne.
Cette souffrance trouve plutôt son origine dans l'immense mutation que nous vivons depuis plus de vingt ans. Rappelons-la brièvement : sortie du monde bipolaire dominé par l'Amérique et la Russie, mondialisation économique, mutations technologiques et développement rapide des moyens de communication, généralisation des flux de tous ordres (financiers, humains, culturels, spirituels...), mise en cause des pouvoirs installés, des institutions...
Ce grand brassage déstabilise la société et détériore les conditions de vie d'une partie de ses membres. Il provoque aussi des réactions de type « allergique ». C'est le premier aspect de la souffrance. Le second est lié à l'incertitude de l'avenir. Beaucoup l'ont répété : après les élections, le pire nous attend. Il ne s'agit plus, à proprement parler, d'une souffrance réelle, mais d'une sourde angoisse à laquelle il y a trois manières de répondre : avaler des tranquillisants, la transformer en violence (contre soi ou contre l'autre) ou se mobiliser positivement pour affronter l'avenir.
En termes politiques, les tranquillisants, c'est la fuite en avant dans une dépense publique pensée uniquement en termes de « traitement social » de la crise. C'est aussi la « victimisation », cette manière d'enfermer les victimes dans leur douleur pour capter leur attention et leur faire croire qu'on s'occupe d'elles. La violence, ce sont les suicides, les explosions sociales, les émeutes de banlieue, la montée de l'agressivité envers les autres, la délinquance, la recherche permanente de clivages et de coupables.
Reste donc la mobilisation positive. C'est ce qui a le plus manqué dans cette campagne électorale, prise entre polémiques et berceuses... Pourtant, dans le vote protestataire, de droite comme de gauche, il n'y a pas seulement l'expression d'une souffrance. Il y a aussi la volonté de reprendre son destin en main.
La confiance ne se retrouvera pas si elle ne s'expérimente pas à la base. Le prochain président de la République ne réussira pas s'il ne permet pas aux Français d'être, plus que jamais, les acteurs du renouveau. C'est à eux-mêmes qu'il revient d'inventer la France du XXIe siècle. Il faut les rendre coresponsables de la définition d'un nouveau vivre-ensemble, d'un nouveau pacte social, d'une nouvelle croissance et, pour cela, libérer les énergies disponibles, trop souvent entravées. Alors, la souffrance aura simplement duré le temps d'« accoucher » d'une société revigorée. Telle devrait être notre ambition commune.

Tous les cinq ans les citoyens sont amenés à élire le Président de la République et leurs députés. C’est une période intense pendant laquelle des candidats proposent projets et programmes. Il n’est pas question ici de choisir tel ou tel , ni de lancer un mot d’ordre .
Cependant l’expérience – expertise collective construite au quotidien – des centres sociaux sur leur territoires et celle de notre réseau fédéral nous confèrent des responsabilités. Elle nous donne la légitimité pour livrer un constat de la situation des habitants et de leurs besoins dans nos quartiers et pour formuler des propositions, des alternatives et des actions. En d’autres termes, une démocratie de la participation et pas uniquement une démocratie de concertation-consultation.
C’est pour cela que le Conseil d’administration de la FCSF , après un travail d’élaboration engagé depuis plus d’un an pour préparer notre Congrés de 2013 (récolte des indignations, Université fédérale de Sangatte, rencontre des présidents de fédération en mars 2012, participation à des travaux avec des partenaires : UNIOPSS, Collectif Pouvoir d’agir, etc.) a décidé d’interpeler les acteurs politiques pour qu’ils s ‘engagent à respecter et développer les initiatives des habitants pour plus de solidarité, de démocratie, de respect des personnes et des groupes.
Reconnaître l’action des centres sociaux et de leurs partenaires suppose bien évidemment de sortir d’une logique qui insidieusement stérilise et tue l’action sociale. Logique qui place le social au second plan, au nom de considérations économiques ou financières. L’action de nos centres prouve que les habitants ne sont pas des « coûts » mais des ressources, pour notre société en grande difficulté.
Cette démocratie citoyenne, nous la mettons en place tous les jours, encore faut-il que nous la valorisions, pour la rendre lisible et visible, auprès de tous : habitants aspirant à une vie sociale épanouissante, décideurs locaux, pouvoirs publics, etc. D’ores et déjà, l’Union régionale des centres sociaux de PACA s’est saisie de la question de la précarité et de l’emploi pour organiser un débat à dimension nationale le 10 Mai prochain à Marseille.
Le logement, la santé, l’éducation sont aussi des préoccupations dont nous sommes porteurs. Les centres sociaux sont dans la proximité, et les réponses construites par les habitants eux mêmes, le sont donc également. Alors au moment où la représentation politique au niveau de l’Etat et de l’Assemblée va se renouveler par l’élection, n’hésitons pas à lui rappeler que la démocratie , c’est tous les jours, et que les ressources du développement local sont aussi sur le terrain.
La démocratie représentative n’exclut pas la coopération, le co-portage, la co-construction des politiques publiques avec les citoyens. Bien sûr, pour parvenir à cela, il y a sans doute des habitudes à changer…


Les Raisons de la colère

Dimanche 22 avril, près de 18% des votants ont choisi de donner leur voix à Marine Le Pen, lors du premier tour des élections présidentielles. Ce score suscite de nombreuses interrogations, d'autant qu'une fois de plus, il avait échappé aux prévisions des instituts de sondage. Pourquoi tant d'électeurs choisissent-ils de donner leur voix à la candidate du Front National? Vivons-nous dans « un pays raciste », comme l'affirme Gilles Sokoudjou, président des « Indivisibles » sur Rue89? Enfin, si l'on considère que la progression du score du Front national pourrait à terme avoir des conséquences néfastes sur la vie politique de notre pays, comment faire pour l'enrayer?
Nous ne prétendons pas avoir prévu ce score mais nous sommes tentés de le mettre en relation avec le travail que nous avons mené au cours de l'année 2011, consistant à interroger les habitants qui fréquentent les centres sociaux sur les difficultés qu'ils rencontrent au quotidien. Résultat: des milliers de témoignages ont afflué, faisant état de difficultés en matière de logement, d'accès aux soins, d'isolement, de relation avec les élus, de précarité, etc.
Selon nous, cette détresse peut expliquer en partie le vote FN. Plus précisément, nous pensons que ce vote est une manifestation de colère de la part d'une frange de la population qui se sent oubliée, voire méprisée par ceux qui vont mieux. C'est aussi une manifestation de peur face à l'avenir de la part de ceux qui craignent, pour eux ou pour leurs enfants, d'être confrontés à de telles situations.
Regardons la réalité en face: de nombreux jeunes sont aujourd'hui exclus de l'emploi tandis que des milliers de personnes âgées souffrent de solitude; les prix du logement pèsent lourdement sur le budget des classes moyennes et des ménages modestes; les services publics disparaissent ou leur qualité décline dramatiquement faute de moyens, à commencer par l'école; certaines zones rurales ou péri-urbaines sont devenues de véritables déserts médicaux ou en terme de services de proximité, etc.
Attention: il ne s'agit pas de notre part de nier la dimension raciste du vote FN. Il existe malheureusement en France des personnes faisant consciemment le choix du racisme et de la xénophobie. Le vote de dimanche dernier leur a donné l'occasion de faire entendre cette opinion contraire aux valeurs républicaines. Ce fut aussi l'occasion d'exprimer une islamophobie, qui prend des proportions que nous jugeons inquiétantes, d'autant qu'elle légitimée par certains de nos dirigeants. Parmi les témoignages que nous avons recueillis, une part non négligeable faisait d'ailleurs état des discriminations liées à l'origine. C'est le signe qu'au-delà d'une expression par le bulletin de vote, le racisme est présent au quotidien.
Nous pensons cependant que, comme disait Léopold Sédar Senghor, « un raciste est un homme qui se trompe de colère » mais cette colère est-elle pour autant illégitime? Résistons à la tentation de faire l'amalgame entre ce socle d'électeurs approuvant ce message d'exclusion et ceux qui ont voulu adresser un message d'inquiétude ou de défiance en direction du monde politique.Ce serait utiliser l'accusation de racisme comme un moyen commode pour invalider des paroles qui font état de difficultés ou de craintes que nous ne voulons pas entendre.
Il nous faut donc changer de regard sur certains des électeurs du FN. Écoutons leurs colères, leurs peurs et dialoguons avec eux pour tenter de les convaincre que le rejet de la différence – couleur de peau, religion, origine géographique - n'est pas la solution à leurs craintes ou à leurs difficultés, ni à celles de notre pays. Sans mépris ni condescendance, sachons expliquer clairement pourquoi nous jugeons le Front National dangereux pour la cohésion sociale. Sachons entendre et comprendre que ce vote est aussi la manifestation d'un désir légitime de protection,de sécurité - physique mais aussi financière, affective, etc. – et de reconnaissance.
Cette reconnaissance, que l'on cherche ainsi à obtenir par le biais d'un vote contestataire,nous pensons qu'elle peut être garantie par d'autres moyens. Elle peut exister, au quotidien, grâce à l'appartenance à un groupe social et au fait de prendre part à des décisions qui nous concernent.Le meilleur antidote au Front National, c'est donc une société qui favorise et respecte l'appartenance à des communautés de voisinage où se développent des solidarités. C'est aussi une démocratie vivante dans laquelle les réponses aux problèmes constatés ne viennent pas d'en haut mais intègrent l'expertise d'usage et la capacité d'action des gens concernés.
Quel que soit le résultat du second tour de l'élection présidentielle, notre société est donc face à un défi: réussir à faire vivre une démocratie de proximité, allant chercher ceux qui n'y participent pas, développant avec volonté une éducation à la citoyenneté, permettant que puissent vivre dans le maximum d'endroits et de circonstance des espaces de dialogue, de coopération et d'entraide pour écouter ces colères et ces craintes, comprendre leurs causes et agir ensemble.
Cela ne se fera pas sans une évolution profonde de la culture des responsables politiques et des institutions publiques, laissant la place à l'initiative citoyenne et à la concertation locale. Cela ne se fera pas non plus sans une mobilisation des corps intermédiaires (associations, syndicats,etc.), parfois décriés dans la campagne qui s'achève.
Nous, centres sociaux fédérés, voulons dire notre détermination à œuvrer dans ce sens.Nous voulons être toujours plus et toujours mieux des lieux engagés au cœur des questions sociales, où le débat est possible sans esquiver les désaccords et les conflits. Des lieux où s'inventent des dynamiques collectives solidaires, au sein desquelles chacun peut trouver sa place,identifier et apaiser ses peurs, éviter de se « tromper de colère » et inventer une société plus ouverte, plus fraternelle.

2 commentaires:

  1. J'ai bien aimé le premier texte, même s'il ne fait aucune proposition concrète.
    Dans "les raisons de la colère", l'auteur semble faire un amalgame courant et fâcheux: "Ce fut aussi l'occasion d'exprimer une islamophobie[...]"et "[...] une part non négligeable [des témoignages] faisait d'ailleurs état des discriminations liées à l'origine."
    Jusqu'à nouvel ordre, être musulman n'est pas une nationalité, seulement une croyance, de même que l'on peut être juif éthiopien ou chrétien indien. Malheureusement, l'auteur ne semble pas être à un amalgame près, puisqu'il poursuit: "c'est le signe qu'au-delà d'une expression par le bulletin de vote, le racisme est présent au quotidien." Il me semble important de bien définir les termes que l'on utilise: le racisme est l'idée selon laquelle des caractères physiques seraient liés à des traits psychologiques (exemple: les noirs sont des fainéants). Dommage, car à ces (grossières) erreurs près, l'article est très intéressant.

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    1. Effectivement le premier texte ne fait aucune proposition concrète, mais en faire aurait été à l'inverse de son propos puisqu'il ne cherche qu'à dire que seule la parole de tous doit d'abord être libérée. Qu'il ne faut plus que le débat soit accaparé par quelques-uns et les solutions attendues. Reste par contre en effet à savoir comment permettre ce rôle citoyen de chacun.

      Et le lien se fait avec cet autre texte, qui me semblait intéressant pour sa tentative (peut-être maladroite) de dé-diabolisation des électeurs du front national. Ceux-là ne seraient pas les représentants du mal incarné comme on a voulu le faire penser, seulement des gens en colère parce qu'ils souffrent, et des gens qui souffrent parce qu'ils n'ont pas leur place dans la société. Et la réponse qui parait pertinente à cette souffrance, c'est le replis identitaire. Ce racisme qu'on a jusque là attribué aux "personnes mauvaises" n'est qu'une peur de l'autre. Et l'on est donc bien d'accord que cette idée s'éloigne de son étymologie et de son sens premier désignant une théorie qui hiérarchise les races humaines. Mais bien heureusement car cette définition ne veut aujourd'hui plus rien dire : on sait qu'il n'existe pas de races différentes au sein de l'espèce humaine, et même lorsqu'on parle de discrimination d'origine, je crois que plus personne (de sérieux) n'est capable de défendre l'idée qu'un peuple d'une origine particulière serait supérieur à un autre. On parle donc d'un néo-racisme qui symbolise finalement ce qu'a toujours été le racisme et cela seul : une peur de l'autre, une non-acceptation de l'autre, une défense de soi vis-à-vis de lui. Et je crois que dans cette approche, l'article est dans le vif des choses, car des croyances, des coutumes, suffisent à nous faire être autre. Et la détresse exprimée aujourd'hui serait symptomatique d'une société qui ne parvient pas à faire vivre ensemble les diversités. D'où l'idée de redonner la parole à tous pour faire la société (dans le premier texte) conceptualisée par la notion de démocratie participative (dans le second texte).

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