La nuit tombe et les lumières restent, innombrables et identiques. Certaines se
perdent au fin fond des zones sombres et résistent encore à l’aspiration. Il est
trop tard pour les autres, qui s’agglutinent en quelques amas grossiers et ne se
sépareront plus jamais. Faits de pointes jaunes et blanches fluorescentes,
similaires en tout à celles qu’elles côtoient, ces ensembles ne sont pourvus
d’aucune extravagance. La répétition pourrait lasser ; mais pourtant, la magie
de l’infiniment grand donne à ces scintillements répliqués sans limite une
dimension extraordinaire. Nébuleuses fantasmagoriques, immenses tâches étendues
et désarticulées, sublimes figures faites d’infimes presque riens, elles
magnifient sans effort ce reflet uni de leurs mille et unes composantes éparses
interdisant chacune d’elles d’exister toute seule.
Ô ville moderne,
flamboyante et démesurée ! N’es-tu pas venue trop vite pour nous autres, légères
lueurs malléables et immatures ? Comme ton cœur bat fort, comme ta parure est
étincelante ; aucunement de notre petitesse il nous viendrait l’idée de te
désapprouver. Ton essence nous enivre tous et nous venons en toi, impuissants,
incapables de fuir le mirage de pareilles richesses. Au bord de nos fenêtres,
perchés dans les petites cabanes imbriquées des tours immenses que tu as
érigées, nous tentons de faire briller nos microscopiques univers pour signifier
modestement, mais avec tant de difficultés, que nous avons toujours le puissant
désir d’exister dans cette masse d’autres où tu nous as noyé.
Nos vaines
et ridicules tentatives nous épuisent, elles échouent quasiment toutes dans leur
objectif de nous faire émerger de ce tout si immense. Cependant, abondamment
copiée, elles te nourrissent toi à l’excès pour te conférer cette puissance
encore jamais atteinte. Chère créature urbaine, pour cela nous t’adorons autant
qu’au fond nous te détestons.
Mes pensées m’ont égaré. Je te parle ici,
te flatte et te reproche, et m’aperçois que je m’adresse à un être imaginaire,
avec tellement d’engouement. Toi fiction contemporaine, tu soulages nos maux et
nos tourments, tu nous fais oublier que, sans aucun doute, rien n’est de ton
fait. Derrière notre amertume envers toi, nous cachons nos doutes et nos peurs
devant notre propre création qui nous échappe. Ce que nous avons fait naître a
dépassé nos rêves les plus fous et nous contrôle désormais. Image mentale et
vivante de génie, ta profonde réalité qui se révèle sous le somptueux costume
que les poètes t’ont prêté est toute autre. En vérité tu nous oppresses, faibles
humains que nous sommes, et les attributs dont nous t’avons au départ doté par
désirs de grandeur nous empêchent maintenant.
Et si te poétiser avait été
la plus intelligente des choses à faire face à toi, pour te connaître, pour
savoir ce que nous avons cherché en te mettant au monde ? Et si par ton biais,
nous avions souhaité la plus profonde aventure de notre espèce, celle qui nous
forcerait à nous transformer, à nous surpasser ? Tu es dans ce cas la clé d’une
révolution qu’aucun ne fera pour les autres, une révolution pleinement
psychologique et individuelle.
Merveilleux espoir qu’induirait cette
posture dans notre actualité effrayante. Il suffit d’observer tout autour, de
constater comment nous évoquons notre présent avec dégoût, afin de se rendre
compte de l’évidence : nous n’en pouvons plus de nous ! Et nous prenons un
plaisir véritablement intense à nous décevoir. Remarquons tous à quel point nous
jubilons de nous haïr. Nos cités à tailles inhumaines sont le symbole
apothéotique de la sombre vision que nous avons fini d’élaboré de notre
civilisation, de nos semblables, de nos pairs et de notre chaire. Elles
représentent la dernière marche d’un déclin, à laquelle nous avons
malheureusement décidé de tout céder de nous. C’est cette complaisance dans nos
misérables vies, ce bien-être dans la médiocrité qui nous perdent finalement. Le
défi de la multitude a fait jaillir notre incapacité à être unique, profondément
soi-même. Pire, il a affiché notre facilité à baisser les bras, à renoncer à
l’effort du dépassement personnel.
Sourions désormais, les beaux jours se
lèvent à nouveau et l’horizon s’éclaircit dès lors que l’on aperçoit cette
possibilité inédite. L’extase que cherche l’individu humain n’est pas un
lointain point de mire, inaccessible car issu de batailles incalculables et
contre des forces trop importantes pour son envergure limitée. Oui, uni avec ses
alter-ego, ce minuscule être énergique pourra réussir quelques prouesses, mais
la première et la dernière des luttes à mener est ailleurs. L’homme peut
désormais se battre contre lui-même. Perspective déjà moins impossible à
concevoir, elle représente, en outre, une volupté de chaque instant et non pas
une récompense à terme. C’est une dialectique interne qui s’engagerait, un jeu
entre plusieurs versions de soi, un échange nourri et générateur. Se battre,
ici, ce ne serait nullement chercher à détruire mais plutôt se confronter,
vouloir l’apparition d’énergies nouvelles dans la dualité. Deux mouvements en
ressortent. D’un côté cela laisse libre cours à l’ensemble des forces qui
sommeillent en nous de s’exprimer sans retenue aucune. Ensuite, cela pousse au
façonnage d’une entité sublimée qui nous représente, à la construction d’un être
empreint d’inquantifiables contradictions mais ayant réussi à en faire un
alliage, à l’équilibre, d’une esthétique aussi parfaite que cela le lui était
permis. L’espoir est là ; après s’être enfin réellement méprisés pour les bonnes
raisons, nous relevons la tête. En nous rassemblant les uns à côté des autres
par millions, l’urbanité a froidement mais si limpidement fait éclater de nos
entrailles notre criante banalité. Il ne tient qu’à nous de la réfuter
désormais, ô individus modernes, futurs surhumains, désormais libres d’entrevoir
le monde par son propre prisme, l’unique valide, celui qui lui fera tout
naturellement faire le bien sur cette Terre qu’il sait partager.
Et,
inspiré des paroles de son vieil ancêtre Zarathoustra , un de ses lointains
descendants pourrait ajouter à cela :
« Au bord de tout ça, dans le
néant, je ne suis qu’un infime, mais ici je suis. Et je suis encore finalement
assez pour me permettre d’espérer, une fragile et dernière fois. Laissez moi
voir là-bas, au milieu du chaos, surgir une figure improbable. Elle amène la vie
au cœur de l’ennui, l’exaltation dans les pleines obscurités. Réjouissez-vous,
nous dit-elle, la mélancolie n’est plus de mise, elle n’est plus reine. Cessez
de vous étriquer, de faire comme si vous n’étiez pas ce corps que vous habitez,
ces folles envies qui vous assaillent, ou cette nécessité que vous négligez.
Aimez cette peine qui vous hante tout comme cette joie qui vous traverse.
Aimez-les ensemble, avec l’intensité de la passion qu’elles susciteraient en
vous si vos chaines explosaient. Aimez ce passé qui vous gêne, et cet avenir qui
vous tracasse. Aimez cette vie faite de tout. Aimez faire vivre la vie
par-dessus tout.»
1 commentaire:
Merci d'indiquer un nom qui nous permettrait de savoir qui vous êtes en sélectionnant l'onglet "nom/URL"
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Comme ce texte m'a fait du bien , Optimisme, solidarité, enthousiasme, acceptation de nos forces et de nos fragilités du vrai quoi!!!!!
RépondreSupprimernotre ville n'est que le reflet de nous mêmes aussi reprenons confiance ne nous cachons plus derrrière ces façades clinquantes et froides, ne subissons pas. Chaque petit être doit reprendre sa vie en main ESPOIR mot magique alors qu'on nous ressasse en boucle CRISE . "J'ai décidé d'être heureux c'est bon pour la santé"